Rédaction et photo : Magdalini Ioannidis.
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    « Nous sommes à l’aube d’une révolution brain tech » Antoine Pouppez, CEO et co-fondateur de neuroClues

    27/02/2025
    ENTRETIEN. Casque de moto sous le bras et veste en cuir sur le dos, Antoine Pouppez, dynamique CEO et co-fondateur de la start-up franco-belge neuroClues, nous reçoit entre deux rendez-vous à son camp de base du LLN Science Park, le Monnet Innovation Center de l’in BW, afin de discuter de son produit phare qui a, lui aussi, le vent en poupe.

    « Nous sommes à l’aube d’une révolution brain tech » déclare-t-il, dévoilant sous nos yeux le « stéthoscope du cerveau », un dispositif médical développé à l’interne depuis la création de l’aventure, voilà 4 ans. La jeune entreprise, née en plein été du Covid, s’apprête à travers lui à faire face à une pandémie silencieuse.

    Dans le monde, 1 personne sur 3 vivra un trouble neurologique. En présence d’une maladie complexe telle qu’Alzheimer, la sclérose en plaques ou bien Parkinson, dont la prévalence a doublé sur les 25 dernières années, près d’1 fois sur 3, le patient sera diagnostiqué trop tard, quand 50 à 75% des neurones auront disparu.

    Grâce à la technologie révolutionnaire de neuroClues basée sur l’« eye tracking », cette tendance pourrait d’inverser. Les neurologues-ophtalmologues, aussi les médecins en première ligne à terme, détecteront ces pathologies incurables jusqu’à 5 ans en avance sur l’apparition des premiers symptômes.

    Exit les faux diagnostics et l’errance médicale de 13 mois en moyenne, souvent masquée derrière la dépression, l’un des signes annonciateurs. Oui à la possibilité d’une prise en charge précoce, au ralentissement d’une évolution invalidante, et à la préservation du confort de vie selon les progrès grandissants de la médecine.

    Les perspectives sont aujourd’hui favorables à ce grand tournant. Depuis le mois dernier, l’appareil est certifié et donc approuvé pour une commercialisation en Europe. Avec, à la surprise du CEO lui-même, un an et demi d’avance sur l’entrée prévue aux Etats-Unis.

    Le Parc scientifique de Louvain-la-Neuve se réjouit de vous partager cette excellente nouvelle pour le secteur de la medtech. Elle nous offre l’occasion d’échanger avec Antoine Pouppez sur le fonctionnement de cette innovation disruptive, les développements récents et les ambitions futures de la société.
     


    L'équipe de neuroClues.


    Qui est neuroClues ?

    A.P. On a créé la structure avec mes deux cofondateurs il y a quatre ans autour de deux gros piliers. Il y a d’un côté l’industrie du dispositif médical avec IBA, un gros acteur local. C’est là que j’ai rencontré Pierre Daye, qui pilote la partie technique du produit. De l’autre côté, on retrouve l’Institut du Cerveau à Paris, un institut de premier plan dans le développement de maladies neurologiques. Pierre Pouget, notre troisième co-fondateur, est responsable là-bas d’une équipe dans les désordres du mouvement. Il a une expertise très pointue en oculomotricité.

    D’où votre présence à la fois en Belgique et en France ?

    A.P. Oui, on est actuellement une trentaine de collaborateurs, la moitié en Belgique, principalement ici à Louvain-la-Neuve, et l'autre moitié en France, à Paris et à Bordeaux.

    Comment votre technologie révolutionnaire a-t-elle vu le jour ?

    A.P. Les deux Pierre (co-fondateurs) ont 20 ans d’expérience en eye tracking. Ils étaient très frustrés. La science a produit plus de 80.000 articles reliant les maladies neurologiques aux mouvements oculaires. Elle a prouvé le bénéfice clinique des systèmes vidéo tels que neuroClues depuis les années 1960. Pourtant, aujourd’hui, le neurologue demande encore au patient de suivre son doigt, de se toucher les doigts, de marcher sur une ligne. L’examen clinique est qualitatif, mais pas objectif. Nous, on veut amener une information quantifiée, indépendante de l’observateur. C’est avec cette vision de devenir le « stéthoscope du cerveau » qu’est née l’aventure de neuroClues en 2020.

    Quelle est la particularité technologique de l'eye tracking ?

    A.P. Le défi avec l’eye tracking, c’est la quantité de données à traiter en très peu de temps. On va enregistrer à une très haute fréquence d’acquisition, 400 à 800 images par seconde selon les exercices. Cela génère environ 1 Go de données par minute. Et les deux caméras de notre appareil de diagnostic suivent chaque œil pendant 10 minutes. C’est important d’enregistrer à cette fréquence-là, parce que nos yeux se déplacent très rapidement. Tellement, que même le cerveau va couper l’information. Quand je fais un mouvement oculaire, mon pic de vitesse, c’est entre 500 et 600 degrés par seconde, comme si je faisais 2,5 tours d’œil.
     


    Le dispositif médical de neuroClues.
     

    Recourez-vous à l’IA ?

    A.P. On a développé un pipeline d’algorithmes d’intelligence artificielle pour analyser l’image et extraire les informations (biomarqueurs) nécessaires à l’interprétation du neurologue. Ce sont des petits modèles très légers, ils tournent sur la carte graphique de base de l'ordinateur du praticien. On est très loin des IA requérant des data centers à 500 milliards d’euros. Gérer des données entrantes importantes et les analyser en très peu de temps sur une petite carte, c’est un énorme challenge. C’est là qu’on retrouve la « magic touch » de Pierre Daye, notre co-fondateur et directeur technique, qui a un master en mathématiques appliquées et un doctorat à l’UCLouvain.

    Comment notre regard peut-il en dire aussi long sur l’état de santé de notre cerveau ?

    A.P. La beauté des mouvements oculaires, c’est qu’ils vont mesurer le fonctionnement de zones du cerveau. On sait quelles zones du cerveau sont responsables de quels paramètres. A l’avant, la région frontale où se trouve le cortex et le siège des décisions, on repère la démence. A l’arrière, c’est le vieux cerveau dit reptilien, qu’on rattache au mouvement et à Parkinson. Nous avons les différentes signatures oculomotrices pour chaque indication. C’est un peu comme si on arrivait à faire une IRM sans déployer l’énorme machine.

    Visez-vous principalement les neurologues ?

    A.P. Notre marché de départ, c’est l’international. On dénombre plus de 1.000 neurologues spécialisés en mouvement oculaire. Il y en a très peu, mais ils sont très actifs et ultra enthousiastes par rapport à notre solution. Ils vont nous aider à convaincre les neurologues, qui vont eux-mêmes convaincre les généralistes. Les premières versions du produit entreront d’abord chez les 400.000 spécialistes qui prennent soin des patients atteints de maladies neurologiques. Mais le potentiel d’utilisateurs du diagnostic est beaucoup plus vaste, à peu près 2,3 millions. Ce qu’on vise, c’est de transformer les années d’errance diagnostique en processus rapide de quelques semaines pour améliorer la qualité de vie des patients (estimation de 30.000 à 50.000 belges souffrant de Parkinson).

    Est-ce confortable de débuter la commercialisation en Europe ?

    A.P. La certification a été obtenue en janvier pour l’Europe, en 5 mois seulement, alors que nous avions rentré la demande en même temps aux Etats-Unis et que les délais sont plus courts outre-Atlantique. C’est à la fois une surprenante et une excellente nouvelle. Elle nous a obligé à rebasculer la stratégie. Mais c'est pour un mieux, c'est honnêtement beaucoup plus facile, plus confortable de servir son marché domestique, de parer aux maladies de jeunesse de la technologie dans notre jardin, et surtout, qu’elle profite d'abord aux patients européens. Donc voilà, c'est clairement pour un mieux d'avoir accès d'abord au marché européen, avec nos réseaux qui du coup jouent plus facilement.

    Quelles sont les prochaines étapes pour les 5 ans à venir ?

    A.P. Dans l’immédiat, nous avons intégré la plus grande cohorte Parkinson en France, à l’Institut du Cerveau à Paris. D’ici fin 2026, nous visons l’obtention de l’autorisation pour le marché US, où nous travaillons déjà avec deux instituts renommés. Dans 10 ans, nous serons présents dans tous les hôpitaux européens et américains. Il n’est pas impossible que nous regardions du côté de l’Asie, car la santé humaine n’a pas de frontières. Et enfin, un jour, neuroClues accompagnera le secteur pharma dans le développement de molécules à visée thérapeutique. En prenant les patients plus tôt et en suivant leur évolution, nous avons l’espoir de démontrer une efficacité plus élevée dans les essais cliniques à venir.

    Quels sont vos liens avec l’écosystème local et l’UCLouvain ?

    Il y a un vrai écosystème medtech belge ici, un vrai pool de talents wallon, néolouvaniste en particulier, autour de l’UCLouvain. La preuve, la moitié de l’équipe est passée par IBA. On vient encore de signer quelqu’un. Olivier Legrain, CEO d’IBA, et Invest.BW, ont notamment participé à la levée de fonds de 5 millions en 2024. Nous prévoyons d’ailleurs de lever prochainement 10 millions d’euros dans un financement de série A pour soutenir l’expansion. Pierre Daye et moi-même sommes des anciens de l’UCLouvain. On accueille aussi régulièrement des étudiants de l’université, où l’on supporte le cours de biomed, et on a collaboré plusieurs fois avec la LSM Conseil et, au tout début, avec l’OpenHub. Des discussions sont également en cours avec les Cliniques Saint-Luc. Enfin, nous avons une super localisation au Monnet Innovation Center qui nous permet de continuer à grandir à notre rythme.

     

    Merci infiniment à Antoine Pouppez pour les propos recueillis dans cet entretien. Le « stéthoscope du cerveau » est en marche vers l'Europe, et toute la communauté du Louvain-la-Neuve Science Park se réjouit d’accueillir neuroClues depuis le début de l’aventure et de l’entourer dans cette incroyable révolution brain tech !
     


    Pour aller plus loin

    Site web officiel de neuroClues.

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